12 janvier 2013

Une affaire de viol à Montpellier en 1785 : une histoire éternelle : la victime coupable, les accusés rigolards. De l'utilité du factum pour retrouver la vie vraie des siècles passés.

FACTUM : UN VIOL A MONTPELLIER EN 1785

1785, à Montpellier. Semaine du mardi-gras, mercredi des cendres. On s'amuse, on boit de la clairette, on danse. 
Quelques jours après, Marguerite CAVALIER, "qui a à peine atteint son adolescence", porte plainte pour  "VIOL DE PUDEUR". 
Les jeunes impliqués portent des noms de notables montpelliérains. Auzillion (marié, des enfants), Fajon, Astruc, Delon, Auguste Cambon, Ferrière, Allègre. Toutes ces patronymes se retrouveront un jour où l'autre sur les listes d'élus locaux ou nationaux. 
Marguerite Cavalier est apprentie couturière, ce qu'on nomme à Montpellier une "grisette". 

FACTUM : UN VIOL A MONTPELLIER EN 1785


LES FAITS  : 
Le bal se déroule dans un local du centre ville (qui est curieusement nommé p. 15 : le Temple). Au fond, sur une estrade, l'orchestre. L'appartement est vaste, plus de 100 personnes y dansent à l'aise.
Au moment où l'on allait terminer les Bacchanales, un groupe de jeunes hommes incite les Demoiselles à sortir :  Allez vous en, retirez-vous, il ne fera pas bon ici pour vous autres. Nous allons éteindre les chandelles et faire la farce. Ce qu'ils disaient d'un ton à faire penser qu'il allait arriver quelque triste événement dont une fille devait être victime. 
A ce moment, les portes sont fermées, les chandelles du fond de la salle éteintes.
Et la fête commence....
Mlle Nougaret, une collègue d'atelier de Marguerite Cavalier déposera "qu'on lui avait seulement passé la main dans le sein, et même sous ses jupes et qu'on lui avait fait des attouchements".
Pour Marguerite CAVALIER,  "on lui a arraché avec violence les marques de la puberté" c'est à dire qu'on lui a arraché les poils du pubis et fouetté surtout certaines parties très sensibles.  On a porté des mains indiscrettes sur tous les endroits de son corps que les lois de la pudeur ne permettent ni de toucher ni d'exposer à la vue. 
Les libertins ont rassasié leur vue des objets que le sexe cache avec le plus de soin. 

Les faits sont attestés par des témoins : Joseph Mestre, Sébastien Lacombe et André Roux ont dit qu'on avait dépilé des filles dans le Bal et qu'on les avait fouettées. 
Autre témoin, Marie BERNARD, la maitresse couturière, à laquelle Marguerite Cavalier, en larmes, s'est confiée à la sortie du bal.
D'ailleurs, Il est public dans cette ville qu'une pareille aventure était arrivée une année auparavant. Les accusés et autres jeunes-gens de la ville en avaient été acteurs. On voulut la renouveler. La domestique de Me B... a été la victime de cette année-là.
A l'époque, personne n'a osé porter plainte. 


ATTITUDE DES ACCUSÉS : 
 Un de accusés d'abord se vante publiquement des faits et les renouvelle à l'instruction : "Quel délice, mon Dieu, que nous nous sommes bien amusés! Nous avons retenu deux filles, nous avons éteint les lumières, nous les avons fouettées, et leur avons arraché du poil.
Leur défense est de dire que c'est une tradition festive : La Jeunesse du bal était bruyante, elle était accoutumée à s'amuser de tout. C'est donc par amusement qu'ils ont commis un délit, ILS EN RIENT ENCORE. Lorsqu'ils seront punis, ils tourneront la punition en plaisanterie, elle leur fera passer un quart d'heure de récréation. 
 A ce jour, ils se sont bien amusés sur leur crime. On entend dans toutes les rues les rires immodérés qu'ils font éclater
Auzillon essaye d'acheter le silence de la victime : Le sieur Auzillion , en lui présentant son or : Tiens, voilà pour ton foutu poil. 

FACTUM : UN VIOL A MONTPELLIER EN 1785


LA CONTRE ATTAQUE DES INCULPÉS : 
Vos écrits sont remplis de récits obscènes. 
L'exposante cherche à faire fortune : c'est des dommages qu'elle réclame.
D'ailleurs, elle l'a cherché : Pourquoi donc aller au bal puisqu'elle ne savait point danser? ELLE S'EST EXPOSÉE AU DANGER ; ELLE L'A RECHERCHÉ.  

 CONTESTATION DES FAITS : 
Il n'y a pas eu de vérification. Le corps du délit n'est point constaté.


LA PLAINTE et L'OPINION PUBLIQUE SE RETOURNE CONTRE LA PLAIGNANTE : 
Je cite textuellement le factum (comme tout ce qui est en italique gras) : 
Une fille à qui on a fait un affront est souillée d'une espèce d'infamie; au fond du coeur on lui rend justice; mais ceux qui la plaignent le plus la méprisent. 
Lorsque la Demoiselle Cavalier résolut de porter plainte.. personne ne voulait prendre en main sa défense. Les accusés sont des gens bien respectables, toutes les bouches étaient muettes.  
 Son avocat (M. DE SEURAT, qui rédige ce factum), confesse même qu'il a fortement hésité : Il s'est adressé au Pasteur de cette fille, à ses voisins, à ses connaissances. Ce n'est qu'après les éloges qu'on lui a fait de son honnêteté qu'il a pris sa défense. La moralité de la victime conditionne sa position même en tant que victime.
Avant de se résoudre (du moins pour l'une d'elle), à porter plainte, les victimes gardaient le plus profond silence, crainte que l'aventure ne circulat de bouche en bouche.

FACTUM : UN VIOL A MONTPELLIER EN 1785

CONCLUSION : 
A travers un factum, on découvre une attitude constante face au viol dans les sociétés occidentales (chrétiennes? ) depuis des siècles. 

Je ne sais pas la décision des juges. 
Je ne sais pas ce qu'est devenue Marguerite Cavalier. 



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