27 janvier 2013

THE SOLDIER-STUDENT : le journal des étudiants soldats américains de la guerre de 1914-18 à Montpellier en 1919

THE SOLDIER-STUDENT
The official organ of the American students at the University of Montpellier
The SOLDIER-STUDENT, the American students at the University of Montpellier

Mon petit post sur THE MISTRAL, le mémorial des Etudiants-Soldats américains de Montpellier en 1919 a attiré l'attention.  Le Clapassier de New-York (amistats !!) me signale que la Bibliothèque de Virginie vient de recevoir une collection de l'hebdomadaire.
C'est l'occasion d'en faire, non une analyse, mais une petite description. 

THE SOLDIER-STUDENT
The official organ of the American students at the University of Montpellier

Le N°1 paraît le 22 mars 1919. 
Le N° 15 et dernier le 30 juin 1919.
Le format est celui du Petit Méridional, c'est à dire de tous les quotidiens de l'époque : 60 x 45 cm. 
Et c'est bien naturel, puisque THE SOLDIER-STUDENT est une annexe du PETIT MERIDIONAL journal républicain quotidien. 
2 pages en français (pour le N°1), écrits par les journalistes habituels du journal, mais avec des articles spécialement choisis pour leurs rapports avec les Etats-Unis et les soldats américains. 
Au verso, 2 pages en anglais écrites par les rédacteurs du Soldier-Student. Au fil du temps, les pages françaises vont disparaître et les 4 pages seront exclusivement assumées par les "journalistes" américains. 
Le siège du journal est au Petit Lycée, dans le quartier Boutonnet-Pierre-Rouge.

Le PETIT MERIDIONAL, support de THE SOLDIER-STUDENT

Comme je le disais, Pas question de faire une belle analyse de ce journal.
Je vais plus agréablement me laisser porter par le fil des numéros, et me raccrocher, de temps en temps à quelques articles qui auront retenu mon attention. Mes très très grandes insuffisances en anglais expliqueront mes très très grands oublis.
L'édito du N°1 remercie bien sûr le Colonel BLAQUIERE, directeur du Petit Méridional, qui, malgré les difficultés dues au rationnement, accueille le journal. 
Les initiateurs du projet sont : Captain SHERLEY W. MORGAN, Inf., Commanding officer ; 
Captain R.S. McBAIN, Q.M.C., Bussines Manager ; 
2nd Lt Laurence JONES, A.C. D., managing Editor, puis Editor-in-chief.
Ce staf sera complété dès le N°2 par :  Norman C. Preston, managing Editor ; 
John D. Little, City Editor ; 
B.M. Crosby, Excursions ; 
Thes. H. Jewet, Society-Tennis ; 
O.K. Lundeberg, Drama and music ; 
Paul Miller, Athletics ; 
J.H. Schmidt, Personal Glimpses; 
W.H. Spicer, Landmarks ; 
William Goldberg, McBleilan Butt , Jas. A. Henderson, Emeit Kekich, Frederick Seward, Specials ; 
R.C. Wright , Linotype.

Dès le début, le journal reçoit pas mal de publicité de commerçants ou professionels montpelliérains. Ces réclames sont traduites en anglais. Mais souvent, on va plus loin qu'une simple traduction. On rédige des annonces qui ciblent spécialement nos petits soldats.
Pour s'amuser un peu, remarquons ci dessous la publicité du Docteur MALDÈS, spécialiste des maladies sexuelles, de moins en moins secrètes dans les villes de garnison, et dont l'annonce augmentera de surface (les affaires marchent!) au fil des numéros. Et celle du magasin A LA FRANÇAISE qui s'embrouille un peu entre les produits français qui sont sa raison de vivre et ceux importés, pour ne vexer personne. 

Publicités montpelliéraines pour soldats américains

Dès le N°2, le journal s'enrichit de dessins, comme celui-ci où un Soldier-Student qui ressemble étrangement au Savant Cosinus de Christophe, arpente les rues médiévales de Montpellier, le guide "PARLONS FRANÇAIS" à la main.

Parlons Français
Ce numéro donne déjà le ton : Danse, musique et sport. Plus de la moitié des articles leur sont consacrés : Montpellier Baseball Devotees ; Dancing features teas ; Dance committee ; Tennis holds... ; Music notes ; Jazz Band to syncopate its way to Harmony ... 

Mais on y apprend surtout que les Soldier-Students sont devenus un des enjeux de la vie politique locale. Nous savons que le journal est édité et accueilli par LE PETIT MERIDIONAL, journal laïc sinon athée, républicain et largement franc-maçon. Or, voici que s'étale à la une le compte rendu des fêtes données en l'honneur des étudiants américains par L'ECLAIR, qui est un journal de droite, catholique et ouvertement monarchiste. Ils y sont reçus par les très aristocrates F. de Baichis, A. de Vichet qui, sous les drapeaux enlacés des deux Républiques (!) leur offrent "champagne in hospitable abundance". 
Nos petits yankees sont-ils fédérateurs ou émulateurs?  
En tout cas, leur convivialité américaine transcende les clivages locaux.
Dès le N°3, les catholiques en remettent une couche dans la séduction. Et quelle couche! C'est le Cardinal de Cabrières lui-même, le plus romain des cardinaux français, et engagé de tous le poids de ses 89 ans dans le combat politique catholique qui ouvre aux Américains la Cathédrale de Montpellier (comme il l'avait fait avec les mêmes intentions aux viticulteurs révoltés de 1907). Et, toutes religions confondues, alors que nous saurons plus tard qu'il n'y a parmi eux que 63 Catholiques, 600 Américains se pressent dans la cathédrale pour écouter successivement les grandes orgues et son Excellence le Cardinal.
Dans ce même numéro, nous lisons que le Président de la République Poincaré a reçu The Soldier-Student, que la salle d'escrime de Jean-Louis ne désemplit pas, sauf peut-être pendant une excursion au Pont-du-Gard.

Le 4e numéro nous apporte un élément capital : LA STATISTIQUE DETAILLEE DE CETTE ARMEE AMERICANO-MONTPELLIERAINE.
Le titre de l'article souligne leur variété : "Rich man, poor man, sergeant, buck, doctors, lawyers, men from all states, save Arizona, Delaware, Nevada and Vermont."
Les 559 Soldier-Students comptent 1/4 d'officiers, 4 musiciens et 2 cuisiniers.
Ce sont surtout des fantassins, mais le nombre de membres du corps médical est considérable : 94 auquels il faudrait peut-être ajouter le dentiste et le vétérinaire.
64 viennent de l'Etat de New-York, 27 de la ville de New-York, mais seulement 3 de Louisiane, et 6 de la ville de Saint-Louis.
Leurs universités sont multiples et variées, leurs grades universitaires aussi.
Seulement 63, nous l'avons vu, se disent Catholiques, 207 Protestants, 15 sont Juifs, et 1 se réclame d'une mystérieuse "Ethical Culture". Le reste se répartissant entre 12 Eglises réformées.
Aucun ne se déclare athée.

Statistique ses Soldier -Students américains à Montpelli
Mais l'article nous apprend un détail fort important pour qui voudrait mettre l'accent sur les rapports Franco-Américains : 285 habitent chez des familles française, contre seulement 189 qui vivent au Petit Lycée, et 68 à l'hôtel. Seulement 7 d'entre eux ont pu (ou voulu) louer un appartement. Donc, plus de la moitié partage le quotidien des familles françaises.


Le petit bonhomme qui sert de logo à la chronique hebdo de RIGOLO, sortant de la boulangerie avec sa baguette de pain sous le bras, est-il Américain ou Français? Dieu seul le sait.

Et puis, les numéros se suivent. Le dessin tient un peu plus de place. Le sport aussi.
On remarque que les cimémas montpelliérains, Pathé et Athénée,  font des efforts de programmation : on projette le très français Monte-Cristo en compagnie des comédies américaines The Little Sister ou His Heritage.
A partir du mois d'avril, on prépare la FETE DES MERES (THE MOTHERS DAY) . Ce sera  l'occasion pour les Français de découvrir cette fête que les USA célèbrent depuis 1908 et qui n'existera en France qu'à partir de 1929. 


Mais ce mois d'avril est surtout marqué par une initiative du COMITE DES FRENCH HOMES.
Les membres de ce Comité sont assez largement protestants : Kuhnholtz-Lordat, Albert Leenhardt, Pasteur Castelnau, Victor Frat (un ami de Frédéric Bazille). Mais des catholiques marqués comme M. de Salinelles y trouvent leur place, et les universitaires Jules Valéry (le frère de Paul) en tête y siègent ès-qualité. 
Leur but : tisser des liens entre Américains et autochtones
Leur moyen : faire inviter par les (bonnes) familles montpelliéraines des jeunes Américains à partager leurs repas
Leur espoir : que les préventions contre ces intrus s'estompent, qu'on cesse de les considérer comme des sauvages ou des grands enfants. Et que, de retour chez eux, ces futurs dirigeants gardent de la France un souvenir agréable lorsqu'il sera question d'aider financièrement le vieux continent. 
La rédaction du petit bulletin d'engagement distribué par le Comité est un petit chef-d'œuvre de réthorique : glisser sur les méfiances françaises, demander de l'aide dignement... Un morceau à lire. 

L'approche de la Fête des Mères, si importante pour ces jeunes hommes éloignés de leur famille sera un moment fort pour ce rapprochement.

FRENCH HOMES, pour recevoir un soldat Américain chez soi.
Chaque jeune américain aura une mère française, une mère d'un jour. Le "milieu émotif" méridional allie ainsi "réjouissance" et "pensée".

Un numéro spécial sera consacré à ces émouvantes rencontres. Et nos petits soldats trouvent que la mère française est plus une "femme au foyer" que l'américaine. Est-ce un bien, est-ce un mal ? The first thing one notices about the French mother is her devotion to her menage. She is much more occupied witch the children than the modern American mother, and be it to her adventage or disadveantage...

MOTHER DAY à Montpellier en 1919
Mais, en marge de cette fête, la vie quotidienne continue.
On va en excursion visiter Nîmes, Carcassonne, Aigues-Mortes, Avignon, Arles (où on découvre les traces de FREDERIC MISTRAL... et du Mistral, qui donnera son nom à l'album mémorial que j'ai déjà présenté). A Sète, la visite des usines DUBONNET et NOILLY PRAT empêche les excursionnistes de grimper au sommet de Saint Clair. Mohammed (c'est l'appelation locale du soleil) achève de convaincre les plus valeureux de rester tranquilles sur les quais.
On visite le Musée FABRE, où le peintre qui retient le plus d'attention est Alexandre Cabanel.
On va encore au cinéma, où il y a de plus en plus de films américains — bien que la langue ne soit pas un obstacle, les films étant muets. Shoulder ARMS (Charlot soldat) de CHARLIE CHAPLIN remplit les salles. Il est vrai que l'entrée est gratuite pour tout Soldier-Student accompagné de two French Friends.
On joue du jazz à tous les thés dansants, on lit la Bible.
Le PEYROU MASONIC CLUB est fondé, qui organise un grand banquet au Grand Hôtel de Midi, tout comme les PHI BETA KAPPA organisations, ces clubs d'élite des universités américaines.
On découvre aussi les affaires du FLEA MARKET, le marché aux puces qui se tient tous les dimanches autour du marché, en bas du boulevard Jeu de Paume.
Bref, choses et idées s'échangent, se vendent, se donnent, se refusent, comme ces fameuses cigarettes qui font rêver les petits français de 7 à 77 ans.

LES CIGARETTES AMERICAINES
Dès le mois de mai, les visites à PALAVAS BEACH s'intensifient.






On justifie un peu la consommation du vin local : celui-ci ne naît-il pas de la tendre union des vignes américaines et françaises



Nos petits soldats commencent à se débrouiller un peu en français. Nous avons vu qu'ils savent bien que Mahommet est le soleil. Comment faire, sans ça, pour expliquer les choses aux demoiselles , "Non, Mademoiselle, le A.E.F. blues n'est pas le nom de mon régiment, ça veut dire : le cafard du Corps Expéditionnaire Américain".
Et ce cafard, qui noircit d'autant plus que l'heure de la démobilisation approche, il faut bien le soigner.
On monte alors ses propres spectacles qui empruntent un peu de leur vocabulaire à l'argot, ou du moins au parler populaire local.
La "revue" (spectacle de vaudeville) JE M'EN FICHE est un cadeau d'adieu à la population locale. Le 3ème acte a pour titre : "July 5, 1919" : c'est la date annoncée du grand départ pour l'Amérique. 
La représentation, devant plus de 1000 spectateurs, est un succès.
Elle sera reprise à Grenoble. 

JE M'EN FICHE, revue des Solier-Students de Montpellier
Les divers slogans publicitaires sont en français, mais s'adressent bien sûr à nos petits soldats américains : 
Est-ce que tu t'ennuies?
Ça ne va-t-il point?
As-tu la grosse bête noire?
Tu t'embêtes à mourir?
Veux-tu rigoler?
Veux-tu te tordre? Chasser le Cafard?
Tuer le flegme? 
On voit bien l'état d'esprit des troupes américaines en voie de démobilisation. 

A partir du début juin, le retour au pays obsède tout le monde. Un peu de regret, beaucoup de joie.
Le coeur entre deux pays, entre deux amours : un dessin dit tout !


UN AMOUR DANS CHAQUE PAYS

Avant de partir, on s'inquiète de l'image laissée derrière soi. Un vaillant reporter part s'adresser à la population : "Dites, Monsieur, que pensez-vous des Américains?" (En fait, il sonde plus de demoiselles que de messieurs).
Les résultats sont assez désespérants pour les pourfendeurs d'ethnotypes, et pour le Comité French Homes qui voulait combattre les préjugés réciproques.
En gros, les sondés pensent :
- Que les Américains sont plus sportifs que les français (ça, c'est une demoiselle qui le dit) : it is better
- Qu'"ils sont tellement mignons dans leurs chemises" (en français dans le texte).
- Qu'ils ont "a wonderful organization" .
- Qu'ils sont des "great Kidders". 
- Que "They say Je t'aime , but they mean other chose". 
- Qu'ils raffolent de gateaux et de sucreries (les familles ayant reçu des soldats sont toutes étonnées de ce goût pour le sucre, encore très exotique pour elles).
Le mot de la fin, plein de philosophie, est laissé à une young lady :
You are very much like the french. You have the same esprit, the same happy-go-lucky way of going at things. Then when you find you are wrong you are willing to admit it and turn around and go the other way. 
You work intensely and after work, you play intensely. ... 


QUE PENSEZ-VOUS DES AMERICAINS?

Que dire de ça ? Que les opinions du Café du Commerce ne sont ni meilleures ni pires que d'autres.
Et terminons ce sujet par un des vers "Aux Américains" signés M.T.
"Nous nous connaissons mieux depuis le poignant drame"... 
Il suffit de le croire.

Le dernier numéro, daté du 30 juin 1919 nous informe que les Soldier-Students prendront définitivement le train le 30 juin à 8 heures du matin.
DERNIER NUMERO: LES SOLDIER-STUDENTS REGAGNENT LES USA
VOICI L'ARTICLE QUE L'UNIVERSITE DE VIRGINIE CONSACRE A L'AQUISITION D'UN EXEMPLAIRE DE CETTE COLLECTION : ( http://www.lva.virginia.gov/news/broadside/2012-Winter.pdf --)



The Library of Virginia recently received a fascinating collection of World War I–era student newspapers that sheds light on the activities of American soldiers in France immediately following the war. Author and historian Jon Kukla, who purchased the papers at a Virginia auction a few years ago, donated the collection to the Library for historic preservation and research.
Kukla, author of Mr. Jefferson’s Women and A Wilderness So Immense, has served as director of historical research and publishing at the Library of Virginia, curator of collections and director of the Historic New Orleans Collection, and executive director of the Patrick Henry Memorial Foundation.
The Soldier-Student, a weekly newspaper produced in Montpelier, France, by the group known as the “American Students at the University of Montpelier,” was the first periodical published by American students abroad in France. Students attended a program sponsored
by the American Expeditionary Forces (AEF) and the YMCA designed to enroll soldiers
at British and French universities following the end of hostilities in Europe. Nearly 600 enlisted men were stationed under the American Schools Detachment (ASD) at universities in Bordeaux, Toulouse, and Poitiers.

Published with the cooperation of the French newspaper Le Petit Méridional, the Soldier- Student appeared on two pages of that newspaper for the duration of its publication, from March 22 through June 30, 1919. It reported on a variety of topics of concern to the American student population such as information on local sights and cultural events as well as on the students’ local activities—a priority because most AEF papers were sent home to families, American universities, and other stateside papers. The last issues focused extensively on a show called the American Revue, organized and performed by the soldier-students within Montpelier to raise funds for a charity benefiting wounded French veterans. The show received rave reviews and successfully raised a substantial sum for the charity.
Many of the papers are signed with the name Sgt. G. W. Martin, Hotel du Palais, who attended the University of Montpelier under the ASD plan, though he was not involved in the publication of the newspaper. Following his service in World War I and time at the University of Montpelier, George Williams Martin returned to live in Lynchburg, Virginia.








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