26 janvier 2013

Chaptal, Tandon, un Cerf-Volant, Napoléon, un Ministre de l'Intérieur aimable : Fable occitane pour célébrer l'Empire naissant

Lou CERVOULAN, fabla. 
A Soun Eccélénça Mounségnur CHAPTAL, Ministre dé l'Intériur par Auguste TANDON. 
Avec la RÉPONSE MANUSCRITE du Ministre. 


Une lettre de Ministre de l'Intérieur en 1804

Nous avons déjà rencontré CHAPTAL et son CATECHISME DU BON CITOYEN.
Nous avons aussi rencontré Auguste TANDON et son francitan corrigé à propos de MISTRAL.
Il est temps de les réunir.
Le Senatus-Consulte du 18 mai 1804 clot l'ère révolutionaire (sous sa forme "Consulat") en proclamant NAPOLEON 1er Empereur des Français. Le plébiscite du 6 novembre ratifiera a postériori l'Empire, et le sacre aura lieu le 2 décembre.

Le 3 Messidor (22 juin), Chaptal, Ministre de l'Intérieur, remercie Auguste TANDON de son poème LOU CERVOULAN que celui-ci lui a dédié et envoyé.
Ce poème est une apologie de l'Empire.

Etonnons-nous
Le Senatus-Consulte est du 18 MAI. Sa proclamation à Montpellier a dû se faire, au plus tôt le 20 mai, si on tient compte du télégraphe optique, les détails écrits sont, eux, parvenus à Montpellier autour du 25 mai.
Tandon se met aussitôt à écrire sa fable. Il la fait ensuite imprimer (composition, correction, tirage...). Il semble impossible que l'envoi au Ministre ait pu se faire avant le tout début juin. 8 jours pour arriver à Paris. Les bureaux du Ministre reçoivent le poème vers le 10 juin.
Or, voici un Ministre de l'Intérieur, en pleine réorganisation du pays, dans ces temps de bouleversements politiques, alors que les réseaux républicains d'une part, royalistes de l'autre, risquent de s'insurger contre l'Empire. On s'imagine qu'il a autre chose à faire qu'à lire des poésies. C'est pourtant ce qu'il fait, sa réponse part un mois à peine après le "coup d'Etat" du 18 mai.
Rapidité éclairante sur l'accueil enthousiaste de certaines classes de la population à l'Empire. 

Contre toute logique, je vais commencer par présenter la réponse du Ministre.
La suscription est :

A Monsieur Aug.te Tandon, négociant, Montpellier, Dept de l'Hérault.
Un cachet imitant un manuscrit, sert de "franchise postale" : M.tre de l'intérieur.

Voici la transcription du texte :


Lettre de CHAPTAL à Auguste TANDON


Paris, le 3 messidor an 12 de la République française (22 juin 1804)
Le Ministre de l'Intérieur

A Monsieur Aug. Tandon

J'avais lu avec un grand plaisir, mon cher compatriote, le recueil de vos poésies, j'ai trouvé un intérêt de plus dans la fable que vous avez bien voulu me dédier.
Le sujet que vous avez traité innove avec (? + un mot illisible pour moi) et je désire qu'on puisse m'appliquer la morale de votre fable.

Je n'ai pas perdu de vue la demande que vous avez formée pour votre ainé, vous pouvez vous en reposer sur le désir que j'ai de vous prouver que je n'ai oublié ni les titres de votre famille ni l'amitié qu'elle a toujours eue pour moi

recevez l'expression de tous mes sentiments
Chaptal

Je n'ai aucune idée de ce que demandait Auguste Tandon pour son fils.
Mais ce qui frappe, c'est la personnalisation de la réponse.
Deux vieux amis montpelliérains s'écrivent avec une certaine liberté. 


Mais jetons un oeil sur la fable tandonesque.
1 feuille, 4 pages format quarto (23 x 18 cm).
La feuille est à toutes marges.
La typographie se veut de belle qualité, le texte est dans un cadre "Empire", tout au moins néo-classique.
Mais la hâte d'impression se ressent justement dans l'imposition du texte. C'est à peine si la 4e page n'est pas rognée par le pliage.
Cette impression n'est pas signée, contrairement à la loi, l'imprimeur ne s'est pas dénoncé (que fait la police, et le Ministre de l'Intérieur?).

La dédicace de Tandon rompt radicalement avec les usages de la Révolution. Un ou deux ans avant, il aurait dit : Citoyen Ministre... Aujourd'hui, c'est Son Excellence Monseigneur Chaptal.


Le sujet est assez bizarre. Deux enfants veulent faire voler un cerf-volant. D'abord, ils l'attachent avec une corde (jounquina). C'est trop lourd, trop contraignant, ça ne vole pas.
On a beau faire mila éspériénças, rien ne réussit. Du coup, le garçon intrava dins dé vièoulénças.
Ensuite, ils essaient un fil (fîou). Anèt bé (qu'on pourrait traduire par : Ça ira!). En fait, ça va pas si bien : le papier s'étripe, on s'énerve : Anava dins sa coulèra / Chaplâ tout... Bref, c'est une stérile anarchie.
Enfin, le Père vint ! Il attache le cerf-volant avec une ficèla. Ni trop ni trop peu de liberté. Du coup, Anava divinamén.
La morale de l'histoire (ou de l'Histoire?) : ce cerf-volant, ce sont les FRANCÉZES. Sous l'Ancien Régime, ils étaient trop éncadénas. Puis, ils ont essayé la licénça. Alors, Tout éncara és anat pire.
Heureusement, Ara qu'avèn l'AMPIRE ... / És décidat qu'anarén / Couma toun Cervoulan, BÉN.
Notons l'emploi du futur : l'AMPIRE n'a que 2 jours.



Sur la langue, nous sommes bien dans un occitan montpelliérain.
Quand à l'orthographe? Disons seulement que la graphie des diphtongues demande au lecteur un coeur bien accroché. Comment en effet ne pas se rompre le cou en essayant de lire : fâouïè , âouïo ... 

Tandon sera emprisonné après les 100 jours. 

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