3 novembre 2012

LE DEVOIR DU PEUPLE EST D'OBEIR ! CHAPTAL et son CATECHISME DES BONS PATRIOTES , Montpellier, 1790 :


Catéchisme des bons patriotes de Chaptal. 1790

Voici un livre qui n'est pas inconnu : 3 exemplaires sont recensés dans des bibliothèques publiques : Paris, Avignon et Montpellier.
C'est le
CATECHISME A L'USAGE DES BONS PATRIOTES,
par M. J.-A. CHAPTAL, Président du Club des Amis de la Constitution et de l'égalité de Montpellier.
Publié à Montpellier, chez Tournel, imprimeur du Club, M.DCC.XC.

Entre le titre et l'adresse, une devise, qui sera reprise en bandeau au début du texte :
LA NATION,
LA LOI
ET LE ROI.
Il s'agit d'une brochure in 12° de 90 pages, dont les cahiers B et D sont imprimés sur papier bleuté. 
Chaptal professeur de chimie à Montpellier

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En 1790, Jean-Antoine CHAPTAL est un jeune prodige (il est né en 1756). Docteur de la Faculté de médecine de Montpellier depuis 1777, sa réputation de chimiste est si bien établie à Paris que, pour l'attirer à Montpellier, les Etats de Languedoc créent pour lui en 1781 (il a 25 ans) une chaire de chimie à Montpellier.
Ses études de chimie appliquée à l'agriculture, et surtout à la viticulture et à l'œnologie l'amènent à proposer le sucrage des moûts, qui s'appelle désormais chaptalisation.
Anobli par Louis XVI en 1787, il sera aussi ministre de l'Intérieur sous le Consulat, sénateur et comte de Chanteloup sous l'Empire, pair de France, titre conservé sous la Restauration.
Industriel, il crée à Montpellier une des usines chimiques les plus importantes du Sud de la France.
En  mai 1790, il participe à la prise de la Citadelle de Montpellier, et crée la Société des Amis de la Constitution (sa noblesse ne date que de 3 ans). En 1793, il est arrêté à Paris pour fédéralisme, mais relâché aussitôt : c'est lui qui dirige la fabrication des poudres et salpêtre. Il est même nommé professeur à l'Ecole Polytechnique.
Georges Washington, son ami, le réclame plusieurs fois aux Etats-Unis. Il n'ira pas. Il meurt en 1832.
Qu'est-ce que Dieu?

Cet opuscule est le début de sa carrière politique. Sa faible diffusion, locale, est sans doute destinée à le faire élire administrateur de l'Hérault (objectif atteint en 1794).
Ce Catéchisme est une suite de questions-réponses.
La première, comme il se doit, est :
Qu'est-ce que Dieu?
Réponse : Dieu est le premier et le Souverain des êtres. Il a créé le ciel, la terre et tout ce qui existe dans cet Univers.
 La seconde question nous apprend que Dieu possède la toute puissance et la souveraine bonté.
Qu'il s'en contente et s'en réjouisse, c'est tout ce qu'on lui concède : Spinoza est passé par là, on n'entendra plus jamais parler de Dieu dans ce catéchisme.
Tout le reste du Catéchisme est un mélange de projet de Constitution et de traité d'économie politique, fortement influencé par les thèses agronomistes.
Voici quelques extraits des passages les plus riches et les plus savoureux :
La reproduction est une des fins de l'homme : "Le plaisir attaché à cette fonction, dans toutes les classes d'individus, invite  tous les êtres à se reproduire (p.11).
Pays et coutumes : Les hommes qui habitent ce globe sont tous frères… Ils ne devroient donc faire qu'une grande société : mais la différence des climats apporte des modifications infinies dans le physique et le moral des individus. On a donc établi des sections qu'on a appelées ETATS.. (p. 14).
Les lois doivent varier selon le temps, les circonstances, les lieux (p. 15).
Révolution industrielle et Révolution politique : Le peu de prospérité de la France pendant les siècles qui nous ont précédé  est due au peu d'harmonie qui a régné entre les divers membres de l'Etat  (Clergé, noblesse et roture d'une part, industrie,  agriculture et commerce d'autre part)  (p. 17).
Deux cent familles qui entouroient le trône s'emparaient de tout l'or, de tous les emplois, de toutes les grâces (p. 18).
On nomme des citoyens recommandables par leurs talens et leurs vertus… C'est cette élite de citoyens qui constitue l'ASSEMBLEE NATIONALE (p. 23).
Le despotisme le plus odieux : Chaptal
Chaptal ne refuse pas d'entrer dans les petits détails :
Les livrées domestiques :
Demande : Mais du moins, un seigneur étoit bien libre de marquer ses serviteurs par sa livrée ?
R : Lorsque les terres n'étoient cultivées que par des serfs, les seigneurs leur attachoient le sceau de l'esclavage, en les marquant à leurs armes. Mais du moment que l'homme a été déclaré libre, il n'est plus permis de le flétrir en lui imposant les marques de la servitude (p. 25).
Il abolit aussi les droits de chasse et de pêche du seigneur : Ces animaux appartiennent à l'homme… Bien sûr, Si tout le monde peut chasser et pêcher..; Il est très vrai que le gibier disparoîtra de nos plaines … (mais) les bois, les montagnes en conserveront toujours… si on réprime le braconnage ! J'exclus la pêche par le poison (p. 28)
Biens du clergé : Lorsque la société a des besoins, elle peut et elle doit disposer des biens des individus qui la composent. Plus loin, à propos des propriétaires fonciers ou des industriels, Chaptal dira le contraire, leurs propriétés étant sous la sauvegarde de la Nation… Il est vrai qu'ici, il emploie un syllogisme assez sommaire : Ces biens ont été donnés à l'Eglise. La réunion des Français forme l'Eglise. Donc…!
Ainsi dégagés des soins des biens temporels, les ecclésiastiques auront plus de temps pour remplir leur vrai mission d'éducation et d'exemplarité. Il y a là un certain cynisme.
Pour la désignation des ecclésiastiques, le peuple rechercher les bonnes mœurs et surtout la tolérance, qui s'accorde si bien avec l'évangile (sans majuscule),  la raison et l'humanité (p. 32).
Savant et matérialiste (il est aussi franc-maçon), Chaptal définit ainsi le rôle des ecclésiastiques (qui ont dû, à cette lecture, avaler l'hostie de travers) : La connoissance de tout ce qui intéresse son état (et on voit bien Chaptal balayer ironiquement ces occupations sacerdotales d'un revers de main) est sans doute indispensable ; mais combien seroient précieux des hommes qui, revêtus de ce saint ministère, auroient des notions précises sur l'agriculture, la médecine, l'histoire naturelle! ILS ENTRETIENDROIENT L'ORDRE ET LA PAIX ET ENRICHIROIENT LES CAMPAGNES (p.32). C'est moi qui souligne).
L'impôt, proportionné à chacun, doit être consenti par chacun. Même les propriétés inutilisées doivent être taxées. Ne pas semer un champ, ne pas louer une maison est un tort fait à toute la nation, et, en plus de la contribution normale, une amende doit être perçue. (Ceci est toujours d'actualité en 2011).
La dernière moitié de la brochure peut se résumer au choix (élection censitaire) et au rôle des représentants du peuple.
Si le peuple trouve un homme vertueux et éclairé qui se plaise, depuis long-temps, à servir sa patrie par tous les moyens qu'il a en son pouvoir… voilà l'homme qu'il faut députer (p. 41).
Si un citoyen administre ses propres affaires avec succès.. celui-là est digne de la confiance publique ((p. 68).
Le mandat impératif est interdit car si les députés étoient astreints à se conformer aux volontés de leurs commettans… il suffiroit d'envoyer des cahiers.
Et si l'Assemblée prend des décrets injustes, le peuple doit commencer par se soumettre et obéir … car il vaut mieux souffrir pendant 6 mois, que de donner le signal de la désobéissance et de manquer de respect et de soumission à ses législateurs. LE DEVOIR DU PEUPLE EST D'OBEIR car les suites d'un moment d'insubordination sont incalculables  (p. 45).
In fine, apparaît la question essentielle :
D. SERONS-NOUS PLUS HEUREUX DANS CETTE CONSTITUTION?
R. SI NOUS NE L'ETIONS PAS, CE SEROIT NOTRE FAUTE (p. 73).
D. Que nous reste-il à faire pour affermir notre bonheur?
R. Ne point décrier les opérations de l'Assemblée Nationale, respecter nos représentans, se soumettre à leur décrets, ne pas soulever le peuple, ne point l'aigrir…
Si ça, c'est pas du bon esprit!
Le problème, c'est qu'en 1790, Chaptal considère que la Révolution est terminée et aboutie. Mais pour le "peuple aigri", elle ne fait que commencer.
Finalement, ce Catéchisme aurait fait un tabac sous la Monarchie bourgeoise de Juillet. Ah! quel malheur d'avoir 40 ans d'avance!
A Montpellier, Chaptal ne fut jamais élu député. 
Chaptal ministre

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